La motricité libre
La motricité libre est un sujet qui me tient à coeur et qui me porte en ce moment aussi bien dans la sphère privée avec ma petite/petite que dans la sphère professionnelle avec les assistantes maternelles. Je le vis et j'en parle de part et d'autre, les expériences se mêlent et enrichissent donc cette réflexion, ce cheminement, cette conviction, cette foi en ... la motricité libre.
Je me permets donc de partager avec vous un écrit que j'ai réalisé dans le cadre professionnel et qui servira de base de travail pour que mes collègues et moi même abordions de façon plus profonde et plus suivie (groupe de travail, conférence...) ce thème si précieux lorsque l'on accueille des tout petits.
Ce texte est un travail d'assemblage de mes pensées et de mes recherches sur le sujet, une ébauche, un 1er jet comme qui dirait. Prenez le donc comme tel s'il vous plaît.
Définition
« La liberté motrice consiste à laisser libre cours à tous les mouvements spontanés de l’enfant, sans lui enseigner quelque mouvement que ce soit. » Emmi Pikler
Le corps humain est programmé pour se retourner, attraper, s’asseoir, se lever, marcher… sans que l’adulte n’intervienne lui-même ou par l’intermédiaire d’un quelconque objet. Par exemple : l’enfant découvre, par hasard, que ses mains attrapent. Ensuite, il va tenter de reproduire ce mouvement inlassablement jusqu’à acquisition complète. Le chemin emprunté par l’enfant pour mémoriser une position est tout aussi important que la position elle-même. Chaque étape à son importance et son rôle à jouer dans la maîtrise corporelle et dans l’estime de soi.
Historique
C’est le docteur Emmi Pikler (1902-0984) link qui découvrit l’importance pour le bébé de se mouvoir en liberté.
C’est lors de ses études, à Vienne, avec le Docteur Pirquet, dans les années 20, qu’elle observe les enfants et fonde, entre autre principes, les bases de la motricité libre. Elle observe qu’il y a moins d’accident dans les quartiers plus défavorisés où les enfants jouent librement, grimpent, escaladent, sautent, explorent… que dans les quartiers aisés où on cadre beaucoup plus le jeu de l’enfant. Elle a déjà le sentiment que le tout petit sait se développer seul, sans le soutien de l’adulte et qu’il n’est pas adapté de mettre un enfant dans une position qu’il ne maîtrise pas de lui-même.
De là, lors de ses visites dans les familles, elle va expliquer aux parents que le nécessaire pour un tout petit est une ambiance paisible et un environnement adapté, sécurisé ou l’adulte a très peu d’occasion d’intervenir.
Plus tard, en 1946, elle prend en charge une pouponnière, rue Loczy, à Budapest où elle va développer ces principes avec des enfants placés. Elle va former le personnel (les nurses) de manière à ce que la liberté de mouvement et le rythme de chaque enfant soit respecté, à ce que les adultes interviennent peu mais soient toujours présent avec un regard bienveillant, à ce qu’ils prennent le temps avec chaque enfant individuellement et enfin à ce qu’ils verbalisent à l’enfant ce qu’ils lui font…
En 1973, Myriam David et Geneviève Appel publient « Loczy ou le maternage insolite » link qui explique le fonctionnement de la pouponnière et témoigne de la bonne santé des enfants accueillis ainsi.
Plus en détails …
Le bébé posé au sol, sur le tapis, sur le dos, prend conscience de son environnement, de son corps, de son corps dans l’environnement et en interaction avec son environnement. On peut avoir l’impression qu’il ne fait rien mais c’est loin d’être le cas. Il observe, analyse, enregistre des informations, des données qui vont par la suite lui permettre d’agir volontairement.
Par exemple : le bébé, grâce à sa vue, va découvrir un hochet posé à côté de lui. Puis, grâce aux mouvements involontaires et désordonnés des premiers temps, il va voir sa main passer devant ses yeux, devant l’objet aussi. Là, en lui, se prépare l’idée que si la main passe devant l’objet et devant ses yeux alors l’objet aussi pourrait passer devant ses yeux, grâce à sa main. C’est à ce moment-là qu’il va, volontairement et inlassablement, répéter le même mouvement, dans le but de saisir l’objet et de l’apporter à sa vue. Ce qui n’était que mouvement désorganisé et involontaire devient un mouvement volontaire avec un but visé. L’enfant porte en lui les capacités de se développer et d’évoluer par lui-même, si on lui laisse la possibilité de se mouvoir librement, de répéter ses mouvements… sans intervenir.
Lui tendre le jouet convoité (ici le hochet) serait le privé :
- de tout ce cheminement qui lui permet d’intégrer le comment saisir un objet désiré
- du plaisir de se sentir capable de…
L’estime de soi se forge aussi dans ces moments-là où l’enfant réussit à faire seul.
Les mouvements intermédiaires (le chemin pour arriver à…) apportent à l’enfant de la sécurité car il sait qu’il peut atteindre cette position ou s’en extraire. Il s’est approprié la position et les chemins pour y arriver. L’enfant est acteur, il expérimente le fait de débuter une action, de la vivre et de la terminer. Il peut ainsi être attentif à ses sensations corporelles et apprendre à se connaître, à repérer ses capacités. L’enfant qu’on laisse expérimenter son corps librement dans l’environnement est naturellement prudent. Il a appris par lui-même à tâtonner, à tenter, à essayer, à recommencer, à persévérer… Il prend son temps, le temps qu’il lui faut à lui. Il n’a pas besoin de se précipiter vers… car il a confiance en lui, en l’environnement et sait qu’il peut y arriver. Il est prudent, à l’aise, en harmonie avec son corps et par conséquent tombe peu, se fait mal que très rarement.
Pour que la motricité de l’enfant puisse s’épanouir librement cela nécessite quelques conditions environnementales et c’est là que l’adulte joue son rôle principal.
L’environnement doit être assez grand pour que l’enfant puisse s’y déplacer mais pas trop pour ne pas qu’il s’y sente perdu. Attention aux hauteurs de plafond qu’il est parfois nécessaire de rabaisser et à la taille des pièces qu’il est parfois nécessaire de cloisonner avec des meubles, barrières…
Le sol doit être assez dur pour que l’enfant puisse y trouver un réel appui mais pas trop pour ne pas qu’il s’y blesse. Les blocs moteurs durs, type bois, facilitent les premiers déplacements contrairement aux blocs de mousse où les pieds s’enfoncent et où l’équilibre est plus difficile à trouver.
Ses vêtements doivent être souples et amples pour ne pas entraver ses mouvements. Ses pieds, nus, pourront mieux ressentir les différentes textures de sols (carrelage, lino, moquette…), les sensations de chaud et de froid, et pourront s’agripper (les doigts de pieds se recroquevillent) facilitant ainsi les déplacements sécures du bébé. Lorsque le sol devient très froid, l’hiver par exemple ou qu’il est dangereux (cailloux, bitum…) des chaussons/chaussures souples qui permettent aux pieds de prendre toute leur largeur, de s’agripper, de se plier… sans contrainte seront privilégiées. link
L'enfant doit pouvoir trouver autour de lui des jeux adaptés (taille/poids) en fonction de son développement. Ni trop loin, ni trop près de lui pour qu’il puisse y avoir une petite difficulté qui suscite intérêt et mouvement et qu’elle soit en même temps réalisable par l’enfant seul.
Ni trop, ni trop peu, juste assez pour susciter l’intérêt. Trop de jeu à la fois peut apporter une sensation d’étouffement et complique le choix. Il vaut mieux se créer une réserve et sortir les jeux au fur et à mesure qu’ils sont adaptés à l’enfant pour que l’espace soit plus libéré et que l’enfant puisse faire un choix réel.
Au contraire, lorsque l’on met l’enfant dans une position qu’il n’a pas expérimenté lui-même dont il ne connaît rien, des crispations musculaires surviennent, voir une angoisse. Il ne sait pas comment et pourquoi il en est arrivé là. Il ne sait pas comment quitter cette position puisqu’il ne connaît pas le chemin pour la trouver. Il se sent en déséquilibre. Un déséquilibre perturbant dans la mesure où il ne l’a pas voulu et où il ne sait pas comment retrouver l’équilibre réconfortant et sécurisant lui-même. Il va alors se laisser glisser, se laisser tomber voir tomber subitement. Il n’apprend pas de fait à tomber correctement sans se blesser.
L’utilisation de matériel (coussin cale bébé, youpala, harnais…) tout comme le simple fait de faire à la place de l’enfant (asseoir un bébé, lui tenir les mains pour le faire marcher, le poster en haut du toboggan…) entrave :
Non seulement le développement harmonieux de la motricité de l’enfant :
- en provoquant des crispations à certains endroits du corps
- en donnant de fausses sensations, de fausses informations sur l’équilibre, l’apesanteur…
- en empêchant la coordination des parties du corps entre elles
Mais aussi le développement de l’estime de soi :
- en privant l’enfant de la joie de réussir de lui-même
- en le rendant dépendant de l’adulte et / ou du matériel
- en l’empêchant de développer assurance et sentiment de compétence.
Un enfant exerçant librement sa motricité construit une juste image de lui-même, de ses compétences, de sa valeur. Il nourrit un fort sentiment de sécurité et de fait est curieux de découvrir le monde, avec prudence et plaisir.
L’adulte dans la motricité libre
L’adulte propose souvent à l’enfant des transats, parcs, youpala, coussin cale bébé…pensant aider l’enfant à se développer. Cependant, tout ce matériel empêche l’enfant d’expérimenter son corps tel qu’il est et tel qu’il en a les capacités. link et/ou link
Un simple tapis ferme, posé au sol, suffit.
Lors des moments d’éveil, une fois que le bébé a reçu tous les soins nécessaires à son bien-être, il est installé au sol, sur un tapis, sur le dos car cette position est la plus favorable à son éveil.
Un tapis ferme car les tapis en tissu (éventuellement suffisant au nourrisson qui ne bouge pas encore et/ou ne tente pas encore de se déplacer) glissent sous les pieds et les mains de bébé et ne lui permettent pas de s’y agripper.
Dans cette position, sa vue est large. Il peut regarder en face de lui et sur les côtés en tournant sa tête et ainsi suivre les déplacements de l’adulte, découvrir son environnement. Il est en sécurité affective et peu ainsi s’adonner à des expériences motrices.
Dans cette position, ses bras et ses mains, ses jambes et ses pieds, son tronc sont libérés, il peut ainsi les bouger à sa guise sans se blesser, sans être gêné. Sur le dos, l’enfant est détendu. Son corps ne ressent pas de tension due au poids de la tête, tout son axe reposant sur le sol. Sa motricité peut alors se développer librement, de la découverte et du jeu avec son propre corps (passer ses mains devant ses yeux, les attraper, attraper ses pieds, les porter en bouche…) à la découverte et au jeu avec le corps d’un autre bébé ou d’un objet, jouet. Manipulation, coordination, schéma corporel, tout est déjà en train de se construire. L’enfant ne s’ennuie pas ainsi, tout est à découvrir, expérimenter, intégrer pour lui.
De cette position, le bébé va pouvoir accéder aux autres positions. Il va pouvoir se tourner d’un côté puis de l’autre jusqu’à se retourner dos/ventre puis ventre/dos. Il va pouvoir expérimenter les roulés boulés : une suite de retournement dos/ventre, ventre/dos enchainés. De plus en plus attiré par les jeux, il va tenter de les attraper en tendant les bras et va commencer par reculer avant de pouvoir ramper vers l’avant. Il peut aussi, en partant de cette position dos sur le sol, commencer à se soulever du sol pour arriver en position semi assise puis assise. La position 4 pattes va également pouvoir être expérimenté au sol comme un déplacement et/ou en essayant de grimper des escaliers, des blocs de motricité… Installé dans un transat, un youpala ou autre, le bébé ne peut expérimenté tout cela.
Toutes ces étapes du développement moteur ont pour but de préparer l’enfant à la marche, d’acquérir toute la coordination et l’équilibre nécessaire. Le meilleur moyen d’accompagner l’enfant dans cette aventure est donc de lui permettre de vivre ces étapes librement, à son rythme, à sa façon, sans tenter de l’aider. Lui offrir un environnement matériel riche, varié, adapté et sécure puis l’observer. En observant l’enfant justement, on va se rendre compte de tous les efforts qu’il fournit, de ses progrès, de ses tâtonnements, ses essais, ses régressions (nécessaires pour se poser, se reposer, intégrer une nouvelle notion et pouvoir ensuite repartir de l’avant). On va se rendre compte également des risques mesurés qu’il prend, de l’équilibre qui se met en place, de toutes ces positions intermédiaires nécessaires, de tout ce chemin pour aller vers.
Ainsi tant que l’enfant ne s’assied pas seul, ne se met pas debout seul, ne marche pas seul, l’adulte ne le fera pas à sa place et ne l’incitera pas à le faire non plus en lui tendant les bras, en lui tendant un objet puis en reculant. Tant que l’enfant n’essaie pas lui-même, c’est qu’il n’est pas prêt physiologiquement et/ou psychiquement. On ne le pressera donc pas, on respectera son rythme qui lui est propre. On l’accueille avec bienveillance sans dire de lui qu’il est « lent », « en retard », « pas dégourdi »…
Faire à sa place peut entraver son activité principale. Par exemple, un enfant posé assis alors qu’il ne sait pas encore s’asseoir, va devoir luter pour tenir assis, ne pas basculer d’un côté ou de l’autre et va dépenser toute son énergie à ça au lieu de jouer. Sa concentration, son intérêt seront ainsi déplacé. Il n’y a pas de bénéfice pour l’enfant qui ne découvrira pas le jeu convoité et n’apprendra pas comment s’asseoir de cette façon-là.
Faire à sa place peut aussi enseigner à l’enfant de mauvaises positions, lui donner de mauvaises informations. Lorsque l’on tend les mains à l’enfant pour l’inciter à marcher, celui-ci va tenter de marcher les mains tendues en avant or l’équilibre s’acquiert en écartant les bras sur les côtés pour faire balancier. Ainsi on empêche l’enfant de faire naturellement le bon geste pour l’acquisition de la marche et on lui enseigne un mauvais geste, croyant l’aider.
De même lorsque l’enfant tombe, rien ne sert de se précipiter pour le relever. Au contraire, c’est bénéfique et sécurisant pour lui de l’encourager à se relever, de notre place, calmement avec confiance. Un regard et une parole bienveillante suffisent à l’enfant pour le soutenir. Il va ainsi apprendre à se relever seul et repartir sans avoir le sentiment qu’il lui est arrivé quelque chose de grave ! Ce qui peut être le cas lorsqu’il voit l’adulte arriver en courant et en criant de peur parfois. Il peut alors se dire qu’il lui est arrivé quelque chose de grave et avoir peur par la suite de retenter l’expérience qui nous a tant mis en panique. La chute est pour l’enfant un évènement naturel qui fait partie de la marche. Marcher, tomber, se relever fait partie d’un même processus. Relever un enfant qui vient de tomber, c’est, là encore, le priver des étapes intermédiaires nécessaires. C’est aussi mettre l’enfant dans une dépendance à l’adulte au lieu de lui apprendre à compter sur lui. link
Les enfants portent en eux le développement moteur. L’être humain est destiné à marcher. Sauf handicap ou carence affective, tout être humain marche. L’enfant n’a nul besoin d’une main ou d’un objet pour marcher, il est programmer pour. Les positions intermédiaires (sur le ventre, assis, 4 pattes…) étant des étapes de l’acquisition de la marche, elles n’ont pas besoin d’aide pour se réaliser.
Seul un regard bienveillant et empreint de confiance, une parole encourageante sont nécessaires à l’enfant. L’adulte n’a pas à enseigner mais à accompagner. Le rôle de l’adulte se situe principalement en amont : préparer un espace, des vêtements, des jeux… adaptés. Au moment même, il intervient principalement par petites touches, par le regard et la parole, en étant là, disponible. L’intervention est possible uniquement pour une difficulté que l’enfant ne saurait résoudre seul.
Pour conclure…
Il faut éviter de mettre l’enfant dans une position qu’il ne maitrise pas lui-même car il a besoin d’expérimenter et de mémoriser le chemin qui mène à cette position (assise, debout, sur le toboggan, sur le vélo…). Il a également besoin de connaître son corps, ses capacités pour avoir par la suite un comportement sécure et adapté d’un point de vue moteur (ne pas se mettre en danger).
Si certaines positions de l’enfant peuvent sembler dangereuses aux adultes, n'oublions pas que chacun a sa propre perception du danger et que celle-ci varie d’un individu à l’autre, fonction de ses propres expériences et de son vécu. Faire confiance à l’enfant et verbaliser sa propre peur en lui disant par exemple « j’ai peur que tu te fasses mal » et non pas « tu vas tomber », verbaliser aussi ce qu’on attend de lui en lui disant par exemple « prend soin de toi » et non « attention tu vas te faire mal ». On ne peut pas deviner la suite des évènements, prédire l’avenir. On ne sait pas si l’enfant va réussir ou pas. Par contre en lui disant « tu vas tomber », on amène parfois l’enfant à la chute. Il ressent à ce moment-là notre peur, se dit qu’il y a un danger, hésite et fini par tomber. De là on en conclue souvent « tu vois je te l’avais dit » !
Le comportement de l’adulte a donc un impact réel sur le développement de la motricité de l’enfant. Laisser l’enfant se mouvoir en liberté et en confiance n’est pas ne rien faire, bien au contraire. C’est tout simplement faire différemment.