Les pleurs du tout petit : sortir du silence.
J'ai eu la chance de participer au colloque Zo & Ki sur les émotions il y a quelques jours. Pour une première avec cet organisme de formation, je suis ravie. L'intervention d'Eric Binet sur les pleurs a retenue toute mon attention et j'avais très envie d'en partager mon ressenti et ma compréhension, avec vous, par ici.
Bonne lecture et au plaisir d'échnager avec vous sur le sujet.
Colloque Zo & Ki
« Les pleurs du tout petit : sortir du silence »
Éric Binet
L’objectif de cette conférence est de donner des pistes de réflexion et non de culpabiliser les familles et les professionnels.
Éric Binet fait le constat que ce qui domine dans notre compréhension des pleurs sont les connaissances subjectives liées à notre éducation, expérience… En effet, il y a très peu de formation sur les pleurs (pas de cours spécifique sur les pleurs dans la formation d’EJE ni dans la formation de PSY…). Il y a peu, il était encore le seul psychologue, au niveau national, à proposer une formation spécifique sur les pleurs du tout petit.
Il pose la question suivante : Comment intervenir de manière à ce que le petit, les parents et les professionnels soient heureux ?
Pour lui, au-delà des besoins fondamentaux (manger, boire, dormir, être en relation), il est nécessaire pour le tout petit de :
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Se sentir aimer (s’aimer soi-même et aimer les autres)
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Développer son authenticité (goûts, qualités, besoins… ce qui le rend heureux)
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Développer son sentiment de responsabilité (par rapport à soi-même et par rapport aux autres).
Notre réaction aux pleurs du tout petit envoie des signaux sur ces 3 domaines. Il se limite donc dans cette conférence à parler des pleurs « inexpliqués » et non de ceux qui sont à l’origine des besoins fondamentaux comme la faim, le sommeil…. Il pose également d’entrée la différence entre les protestations (pas de larmes et pas d’augmentation du rythme cardiaque, pas de stress…), les pleurs et la colère (émotion).
Petit tour dans l’histoire
On y trouve beaucoup de représentations négatives des pleurs mais pas que…
1941 dans le « Manuel de puériculture » : « cris (…) l’expression d’un caprice »
Anne Vincent-Buffault dans « Histoire des larmes » explique que jusqu’au 17ème siècle les larmes étaient valorisées. Elle constate qu’au 18ème il existe encore un attachement aux larmes et que c’est avec Rousseau, dans « Julie ou la nouvelle Héloïse » en 1761 et « Emile ou de l’éducation » en 1762 que la perception des pleurs change. Il dit des larmes : « langue naturelle à l’origine du langage ». Aujourd’hui, les linguistes s’accordent à dire que les pleurs ne sont pas un langage. Le langage étant volontaire et les pleurs ne l’étant pas. Rousseau a eu sur ce point une mauvaise intuition d’après Éric Binet.
1789 avec la révolution française, pleurer est devenu idéologique. Les personnes qui pleuraient le roi après sa mort étaient arrêtées. C’est le début de l’aire de la maîtrise de soi. Renforcée par la chrétienté ensuite où les pleurs renvoient au sacrifice. Il convient de se montrer sensible mais sans démonstration d’où l’expression : « garder l’œil sec ».
1821 dans le « Dictionnaire des gens du monde » les pleurs sont définis comme une « eau trop souvent mal employée » ou encore comme une « ressource pour les femmes pour cacher leur infidélité ». La distribution des rôles masculin et féminin se renforce. Il est très mal vu pour un homme de pleurer.
Le point de vue médical de l’époque avec Charcot n’arrange rien. Il dit des pleurs : « cure de sanglot (…) 4ème période de la grande attaque hystérique ».
1872 Darwin distingue les civilisés des barbares en ce sens que les civilisés eux ne pleurent pas.
Il y a 100 000 générations vivaient nos plus proches parents. A cette époque, il y avait des prédateurs, pas de murs, l’espérance de vie était courte. Le bébé humain naissant totalement dépendant, sans pouvoir se mouvoir pour rejoindre ses parents en cas de danger. Les pleurs sont certainement arrivés à ce moment-là. Les pleurs mettaient le groupe en danger (les prédateurs pouvant alors facilement le repérer). Le bébé était de fait toujours porté, pour assurer sa sécurité et celle du groupe. Les études montrent que ceux qui ont survécus sont ceux qui ont pleuré. Les pleurs avaient donc une fonction vitale.
Inconsciemment aujourd’hui, nous gardons encore des traces de ces peurs ancestrales vis-à-vis des pleurs du tout petit, synonymes de danger. D’où cette tendance des adultes à vouloir stopper les pleurs.
Pourquoi les bébés pleurent ?
Les pleurs ne sont pas volontaires. Ils proviennent de la partie du cerveau qu’on ne maîtrise pas. Des bébés naissent sans néocortex et pleurent. Anatomiquement les pleurs ne peuvent pas être des caprices. Personne n’est en capacité de pleurer volontairement en moins de 10s.
2) Pour gérer le stress
Chez l’être humain, il existe un cycle stress/détente. Les stimulations activent le cerveau et le stress s’y accumule entrainant la libération de cortisol. A trop haute dose, le cortisol intoxique le cerveau et détruit ses capacités.
Pour gérer le stress, les adultes, ont recours à :
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activités physiques
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pleurs / rire
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langage
- jeux symboliques.
Entre 0 et 1 an, de quoi dispose le bébé pour gérer le stress ? Uniquement des pleurs ! Les pleurs sont une soupape de sécurité pour gérer le trop plein de stress.
Un neurobiologiste a étudié la composition des larmes. Celle-ci varie en fonction de la situation à l’origine des larmes. Dans les larmes, on retrouve :
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de l’eau
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des hormones
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des molécules responsables du stress
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des protéines.
Pleurer comme uriner, c’est le moyen que le corps a trouvé pour se libérer des toxines.
Les pleurs du soir sont liés à une immaturité cérébrale. Si on n’a pas de filtre qui empêche d’être attentif à tous les stimuli auxquels on est soumis, on devient fou. Il faut du temps au nouveau-né pour créer ce filtre. Le bébé, tant que son filtre n’est pas opérationnel, aura besoin de pleurer le soir pour décharger tout le stress accumulé pendant la journée. Dans certaines peuplades, le bébé reste tout le temps avec sa mère (il est porté) les trois 1ers mois, le temps que cette enveloppe soit constituée.
Le fœtus pleure in utero dès la 28ème semaine ce qui indique l’importance de cette fonction.
Facteurs à l’origine du stress ?
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la période prénatale
Les problèmes médicaux, familiaux, professionnels, les deuils, les transports fatigants, la recherche de maternité, la surmédicalisation… Le bébé in utéro reçoit déjà une petite dose du stress vécu par sa maman. Il faut parfois plusieurs mois après la naissance pour que le bébé évacue tout ce stress. Aletha Solter en parle dans son livre « Pleurs et colères ».
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période néonatale
Un travail long, une césarienne, la péridurale (les bébés sous péridurale pleurent pus que les autres), les forceps, la ventouse…
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facteurs environnementaux
La précarité, la crise actuelle, la pression de la réussite, la pollution, les épidémies, les guerres…
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l’entrée dans un mode d’accueil
L’espace de ce lieu, ses bruits, le collectif, les séparation/retrouvailles … tout cela modifie les repères du tout petit.
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La vie de famille
La culpabilité de la reprise du travail, les douleurs de croissance, le sevrage, la diversification, la séparation des parents, la maladie, l’acquisition de la propreté, les déménagements, la violence, la fratrie, le Père Noël…
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La frustration
L’intention de maitriser quelque chose de nouveau précède toujours la capacité à le faire ? Ce décalage est une source continue de frustrations et de tensions.
Dans le livre « Pourquoi pleurent-ils ? » chez Albin Michel, l’auteur observe des périodes critiques à 5 /8 /12 /15 /23 / 34 et 42 semaines.
Quand un tout petit pleure, même si on ne voit pas pourquoi,
il a en fait 1000 raisons de pleurer !
Nos réactions face aux pleurs
Nous n’avons globalement aucun souvenir de nous, enfant, en train de pleurer. 70% des personnes ont une amnésie vis-à-vis des pleurs et sont donc dans l’ignorance de ce que ce cela a produit chez elles. En règle générale, nous mettons de côté ce qui a été difficile.
Lorsque nous sommes confrontés aux pleurs d’un tout petit, que se passe-t-il pour nous?
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Sensations corporelles (crispation, tensions, maux de tête, rougeurs …)
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Envies (fumer, sortir…)
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Emotions (peur, tristesse, colère)
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Sentiments (impuissance, culpabilité, anxiété, incompétence, indifférence…)
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Idées / jugements (capricieux, comédien, pas assez de lait…)
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Empathie (moins souvent)
La réaction la plus courante étant : « il essaie de me tester » « si je cède, je vais le regretter ».
Or, pour manipuler, il faut avoir la faculté de réfléchir consciemment. Pour réfléchir, le cerveau doit sécréter du glutamate, ce qui est impossible chez un enfant avant un à deux ans.
Comme réponse aux pleurs, nous mettons en place des mécanismes de répression des pleurs que sont :
Les douces violences
- Tétine (besoin de succion à la base et non de consolation)
- Doudou
- Transat
- Médicament homéopathique
- « chut chut chut »
- Détournement de l’attention
- Raisonner l’enfant « tu es grand ! »
- Bercements…
Toutes ces techniques plus ou moins « douces » visent à empêcher les pleurs.
Les violences physiques, psychologiques et les négligences
- Secouer
- Tirer les bras
- Pousser
- Fesser
- Mettre dans l’obscurité
- Alcool dans le biberon
- Humilier
- Dévaloriser
- Retrait d’affection
- Refuser de parler à l’enfant…
Quand le petit pleure, si le parent ne vient pas, il apprend lui-même à s’isoler, se réfugier dans le sommeil, à chercher seul son doudou et sa tétine pour compenser le manque de présence humaine. A l’âge adulte, il adoptera probablement les mêmes mécanismes lorsqu’il sera en détresse : cigarette, drogue, alcool, télévision, jeux, achats compulsifs…
Si on est dans un accompagnement des pleurs plutôt que dans la répression des pleurs, cela permet :
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Une personnification positive « ça m’arrive à moi » « je le ressens »
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Une prise de conscience que ce n’est pas catastrophique
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Une connaissance rassurante du monde (on me vient en aide quand j’en ai besoin)
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Une facilitation d’intégration d’expériences similaires futures
On peut lui permettre cela part :
- Un contact physique via les bras, les mains (sécrétion d’ocytocine et d’opioïdes)
- Un contact visuel
- Un contact verbal (langage de tendresse)
Consoler n’est pas stopper ! C’est donner de l’attention, soulager.
Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas prendre le bébé dans ses bras et/ou le laisser pleurer seul! Seulement qu’il est possible de le prendre dans les bras tout en accueillant ses pleurs, ses émotions sans lui demander d’arrêter de pleurer par quelque technique que ce soit. Etre en contact avec lui sincèrement, lui dire combien l’on comprend et attendre avec lui que sa décharge émotionnelle passe.
Un tout petit qui pleure à satiété (sans que ses pleurs ne soient réprimés) et qui est accompagné de cette façon (accueil des émotions) va pleurer moins au final et mieux dormir. Parce qu’il a mieux évacué son stress. Ce bébé-là ne se mettra pas à pleurer au contact d’un autre bébé qui pleure. Au contraire, celui dont on réprime les pleurs, n’aura besoin que d’une étincelle (entendre un autre bébé pleurer) pour libérer son stress.
Bien pleurer est un processus qui permet de se libérer de la souffrance. C’est l’unique moyen du tout petit de triompher des tensions et des douleurs passées ou présentes.